Marie-Cécile Bloch : « Si le sens est introuvable, l’expérience scolaire est douloureuse »

La Croix le 9/01/2010

Pour Marie-Cécile Bloch, enseignante, cofondatrice du Clept1, il s’agirait de prendre le refus d’assister au cours comme un symptôme des dysfonctionnements de l’école plutôt que comme le fléau décrit par le ministère de l’éducation nationale.

La question de l’absentéisme est constitutive de celle de l’obligation scolaire : pour que les enfants de la République ne manquent pas l’école, elle fut décrétée obligatoire puisque indispensable à l’émancipation de tout futur citoyen. Mais aujourd’hui, qui se risquerait à menacer un élève d’un « si tu n’acquiers pas les savoirs émancipateurs, tu ne pourras pas trouver ta place dans la communauté des hommes » ?

Au collège lycée élitaire pour tous (Clept) de Grenoble, nous accueillons des jeunes de 15 à 23 ans qui, ayant décroché depuis au moins six mois, souhaitent renouer avec un itinéraire scolaire. Nombreux nous disent « Je ne savais même pas à quoi ça servait l’école ; véritablement, j’allais en cours, je ne savais même pas pourquoi… parce que, voilà, c’était obligatoire, je ne sais pas… » Si le sens est introuvable et si, de surcroît, l’expérience scolaire est douloureuse, alors s’absenter c’est parfois, c’est peut-être même souvent ce que d’aucuns appellent « un exit de sauvegarde ».

Comment ne pas saisir une partie de l’absentéisme comme une soupape qui permet de tenir ? Comment ne pas se méfier du « présentéisme », aboutissement de la docilité nécessaire quand l’intérêt n’est pas au rendez-vous, quand l’incompréhension des enjeux est totale, quand « plaisir » ne rime jamais avec « étude » ? Arrêtons de feindre de croire que l’école est indispensable à tous, tout en repoussant l’âge d’entrée à l’école maternelle ou en abaissant celui de l’école obligatoire pour que les échappés puissent entrer en apprentissage au plus tôt !

Acceptons que chaque élève prenne sa place ! L’école est une gare de triage qui permet à un tiers de ceux qui la fréquentent, ceux dont les parents sont montés dans les wagons de tête, de se constituer un capital scolaire qu’ils valoriseront ensuite dans une formation supérieure porteuse.

Cessons de faire semblant de s’attaquer à ce fléau en maniant tantôt le bâton de la suppression des allocations familiales, tantôt la carotte d’une cagnotte pour un voyage ! Mettons enfin en œuvre ce qui permettrait à l’élève, bon ou médiocre, d’avoir le sentiment d’être privé de quelque chose quand les enseignants sont absents !

Acceptons que chaque élève prenne sa place plutôt que d’occuper celle qu’on lui tolère ! Construisons cette école au sein de laquelle l’enjeu majeur perçu par tous ne serait pas de passer dans la classe supérieure mais bien de se doter de savoirs émancipateurs ! Les enseignants y consolideraient une motivation qui parfois vacille, faute d’avoir une vision claire de ce qu’attend d’eux la République.

Ne plus rougir des comparaisons internationales Pour réduire significativement la désertion scolaire, ce qu’il faut impulser est connu, reconnu depuis des lustres : considérer les élèves comme sujets plutôt que comme objets de réprimande ou de sollicitude, rendre les objectifs explicites, avoir le souci constant de débusquer tous les malentendus qui brouillent le sens du travail scolaire, ériger comme indissociable de l’acte d’apprendre le droit de se tromper en toute sécurité, faire preuve d’exigence envers chacun et ne pas proposer des solutions au rabais à ceux qui ont le plus de difficultés.

Enfin, condition sine qua non, il faut rendre ses lettres de noblesse à la pédagogie, cet art de créer du lien entre savoir à transmettre et curiosité de l’élève à éveiller plutôt que de vilipender le « pédagogisme », promu « mauvais objet » cristallisant toutes les hargnes.

Dans cette école-là, qui aurait le souci de bien former ses enseignants, notamment en développant plutôt qu’en réduisant comme peau de chagrin leur formation continue, qui n’aurait plus à rougir des comparaisons internationales indiquant notamment que 55 % de nos élèves disent ne pas se sentir « à leur place » en classe contre 20 % en moyenne dans les pays de l’OCDE, dans cette école-là, gageons que la question de l’absentéisme deviendra marginale.


1. Collège lycée élitaire pour tous. Dispositif expérimental ouvert en novembre 2000, il accueille chaque année une centaine de jeunes volontaires, âgés de 15 à 22 ans, pour reprendre une scolarité après une période de rupture d’au moins 6 mois.


La Croix Janvier 2010